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Être salarié·e du tourisme ou animateurice dans une colo. 

Quasi-doubler le salaire minimum du contrat d’engagement éducatif, c’est mettre en péril nos associations de militance pédagogique si l’économie générale des colos ne change pas en profondeur.

Le collectif Camps Colos se félicite de l’augmentation prévue en 2024 du salaire minimum du Contrat d’Engagement Éducatif. Les salaires et les conditions de travail proposés aux animateurices étaient pour certains d’entre eux indignes et relevaient bien plus d’une exploitation que d’un engagement militant. Ils concouraient à la crise actuelle de recrutement. Pour nous, associations membres du collectif Camps Colos, les campagnes de recrutement restaient moins sensibles à ces difficultés : nos pédagogies, nos choix éducatifs, notre vie associative démocratique et notre attention aux conditions de travail permettent aux animateurices de s’engager avec force et conviction. Le salaire n’est que l’un des facteurs du choix d’encadrer des colos chez nous.

Animateurice n’est pas un métier, les colos ne sont pas de l’industrie touristique, les centres de loisirs devraient être un service public où l’engagement est libre et choisi. Rappeler ces éléments, c’est aujourd’hui aller en opposition complète avec la grande majorité des acteurs qui négocient et travaillent avec le gouvernement sur l’avenir des colos. Le collectif Camps Colos n’est pas présent au comité de filière, n’est pas invité à travailler, n’est pas auditionné et personne ne daigne répondre à nos courriers (ni le gouvernement, ni les CAF auxquels nous avons adressé des lettres ouvertes). Pour rappel, le Collectif Camps Colos représente une cinquantaine de professionnels de colos et d’ACM, organisateurs et professionnel·le·s sur le terrain. Des dizaines de milliers d’enfants et de jeunes vivent des départs au sein du réseau.

Pour autant nous rappelons avec force, quelques points indispensables à prendre en compte pour l’avenir des colos et nous en appelons à un travail avec l’ensemble des acteurs, pas uniquement les tenants du libéralisme économique et d’une éducation dirigée.

Animateurice en colo n’est pas un métier : il est urgent de rappeler que le BAFA n’est pas un diplôme professionnel, mais un brevet, qu’il n’a aucune vocation à justifier de l’acquisition de compétences ou d’un niveau de maîtrise professionnelle. Le BAFA permet de s’engager au service de camps, de colos et de centres de loisirs en ayant eu quelques temps de formation. Il est urgent de rappeler que les Accueils Collectifs de Mineurs (colos et centres de loisirs) se sont construits au cours du XXe siècle sur de l’initiative privée sanitaire, sociale puis éducative afin de permettre le départ en vacances, mais aussi de construire les militants associatifs, politiques ou religieux de demain. Être animateurices a, traditionnellement, longtemps été un acte de militantisme basé sur des valeurs et des finalités, sur une idée du monde et de ce qu’est un citoyen émancipé. L’animateurice est alors le pair ou « le juste-plus-vieux » qui permet de passer de l’enfance à l’adulte. Les colos n’ont jamais été un métier de professionnel… Sauf depuis les années 80 où les grands organisateurs de colos ont voulu basculer les colos dans l’industrie touristique, leur retirant leur dimension militante pour pouvoir la convertir en dimension éducative. La colo, pour eux, est une activité du secteur touristique pour l’éducation des enfants, mais en n’appliquant jamais le droit de ce secteur et en maintenant des régimes dérogatoires obtenus alors que ces organisateurs militaient encore pour des finalités émancipatrices. Le CEE est né de ces confusions, les animateurices, dans le monde des colos, sont les seul·e·s à n’être pas salarié·e·s, et l’organisateur qu’il soit militant associatif ou industriel du tourisme leur impose ce sous-contrat.

Les colos ne sont pas de l’industrie touristique. Depuis le combat contre la directive Travel qui imposait les normes touristiques aux associations de colos, le collectif rappelle à longueur de textes, de lettres et de tribunes que les colos ne sont pas du tourisme. Pourtant, les gros acteurs versent en permanence vers cette industrie : vente sur catalogue ou en ligne, marketing agressif, invention de label et de démarche qualité, centration de la colo sur l’activité, thématisation des séjours, etc. Mais c’est un tourisme qui est éducatif ou apprenant, surtout pas un tourisme de liberté et de vacances. La vocation éducative permet à ces organisateurs de maintenir l’idée que les animateurices s’engagent pour des finalités sociales ou qui ont du sens. Lorsqu’un·e animateurice signe un CEE chez ces organisateurs, ils et elles s’engagent en fait pour une société privée (la filiale colo de l’UCPA est une SAS), soit pour des groupes associatifs qui ressemblent à des sociétés privées. Les colos sont un produit à vendre, l’offre est segmentée pour les filles, les garçons, les handicapés, ceux qui aiment le sport ou la couture, celles qui aiment les jeux vidéo ou les mini-motos, etc. Dans l’économie des colos, la variable d’ajustement de l’équilibre financier est l’animateurice payé·e en CEE et ce ne sont pas les plus grosses structures qui payent le mieux leurs animateurices BAFA ou leur stagiaire (35€/j pour un·e titulaire du BAFA et 26,80€ pour un·e stagiaire à l’UCPA).

Pourtant constituer des groupes d’enfants et les déplacer dans un lieu loin des parents, n’est pas une activité touristique. C’est une action militante et engagée sur des finalités qui vise une amélioration de la vie des personnes et de la société. Une colo devrait permettre de vivre un temps de démocratie, d’attention aux plus fragiles, de mixités et rencontres. Là où le tourisme cloisonne les différentes populations, la colo ouvre et permet. Là où le tourisme labellise et norme, la colo construit de la rencontre et du commun. Lorsque la colo devient du tourisme alors elle doit appliquer le droit commun et donc payer tout le monde comme salarié et organiser le travail comme tel.

Les centres de loisirs devraient être un service public et donc appliquer les règles de la fonction publique territoriale. En effet, les animateurices peuvent travailler dans des centres de loisirs municipaux et être embauché·es en contrat d’engagement éducatif à 30€/jour (pour des journées de 10 à 12 heures). Permettre l’embauche de CEE pour les accueils de loisirs, cela signifie que travailler pour une mairie relève d’un engagement et non d’un travail. Les centres de loisirs sont un service aux populations des communes, ils sont organisés et managés par des fonctionnaires avec des droits et des devoirs, ils·elles sont formés et sont rémunérés en fonction de grilles indiciaires. Pourquoi donc, l’animateurice ne serait pas lui·elle-aussi salarié·e ? Le fait de refuser le statut de salarié à ces « agents » montre un mépris pour la fonction, réduit l’animateurice à une fonction qui ne mérite pas d’être rémunérée à la hauteur de son travail. Souvent issu·e de la ville où il·elle travaille, le maire vient dire à sa population qu’elle ne mérite qu’un service payé 30€/jour. Sorte de double peine.

Les centres de loisirs doivent relever d’un service public inclusif et universel comme tous les services publics, ils doivent salarier les animateurs et leur offrir des conditions et des salaires dignes. Le service public doit les former et leur permettre d’évoluer dans leur carrière. Il est urgent de passer de l’engagement ambigu et forcé (des associations ou des mairies) à une filière construite, claire et nationale.

L’engagement est libre et choisi. Au collectif Camps Colos, nous défendons le fait que l’engagement ne peut être que libre et choisi, dit autrement, les animateurices de nos colos s’engagent pour les causes que nous défendons, pour les pédagogies que nous mettons en place ou pour les idées politiques et/ou religieuses pour lesquelles nous militons. Il n’existe pas d’évolutions sociétales sans actions militantes, sans un engagement bénévole permettant de construire puis de défendre la cause : associations, syndicats, fondations n’existent que par l’action bénévole. Ainsi, au collectif, nos associations n’existent que par l’action de bénévoles. Les jeunes qui viennent sont engagés, militants, acteurs et producteurs des colos. Et à ce titre, nous refusons d’être mis sur un pied d’égalité avec l’industrie touristique (quelle que soit la forme juridique : assos ou sociétés), dont le but est de distribuer des dividendes et/ou de rémunérer ses dirigeants.

Être animateurice dans nos associations, c’est donner de son temps, de son énergie et parfois de son argent pour ceux et celles qui peuvent, c’est agir avec éthique, mais dans ce monde libéralisé où les jeunesses sont fragilisées, nous refusons que les animateurices soient exploités par un bénévolat imposé et que le prix des séjours augmente excluant alors les plus pauvres, fragiles et vulnérables que nous accueillons. Nous défendons avec force l’idée de la séparation juridique et administrative des colos dont les finalités sont l’attention portée aux vulnérables et les colos qui ne sont que des voyages touristiques pour mineurs. Nous sommes convaincus que la décision d’augmenter de manière unilatérale et pour tous le montant du salaire minimum du CEE est une action concertée entre ce gouvernement et quelques gros acteurs économiques pour renvoyer uniquement à des actions bénévoles les colos que nous défendons. Pour eux, il n’existe que deux choses : le marché ou le bénévolat. Le commerce ou la philanthropie.

L’augmentation du salaire minimum du CEE est un tour de passe-passe avec le Pass-colo annoncé quelques jours après. Annoncé comme une avancée pour les enfants et les familles, le Pass-colo permettra sans doute et surtout le financement de cette augmentation unilatérale des salaires. Les organisateurs acceptaient des augmentations à condition qu’ils sachent bien qui allait payer et que le prix de vente du séjour ne change pas.… et bien ce seront les CAFs via ce pass. Sur cette gestion par les CAFs du Pass-colo, nous rappelons que les démarches pour permettre aux familles d’avoir accès aux aides sont kafkaïen et que nous attendons une réponse à notre courrier. Nous interpellons aussi sur la gestion par VACAF des agréments qui permettront d’encaisser le Pass-colo, pourquoi ne pas utiliser l’agrément JEP ? Les interprétations faites par la CAF de Héraut gestionnaire de l’agrément VACAF peuvent poser des interrogations. Sans agrément, l’augmentation unilatérale des salaires n’en sera que plus difficile et dangereuse pour les petites structures.

 

Quelle solution ? Que faire ?

  1. Nous demandons à être reçus par la secrétaire d’État, nous demandons à être présents au comité de filière, nous demandons à ce que la secrétaire d’État ouvre des négociations publiques auxquelles nous serions présents et acteurs.
  2. Nous demandons une politique d’aides publiques (aides ou charges allégées) pour toutes les associations agréées JEP de moins de 20 salariés permettant d’encaisser le coût de l’augmentation (par ex. cela représentera plus 2500€ hors charge pour un séjour de 50 enfants et de 14 jours). Politique rapide puisque les négociations avec les CE et collectivités pour les séjours 2024 s’ouvrent dès septembre. A défaut, le coût des séjours augmentera et éloignera certains publics (ce que nous ne voulons pas).
  3. Nous demandons une réglementation spécifique et précise permettant de n’appliquer le CEE qu’aux associations de petites tailles et militantes, d’exclure du CEE les communes, les sociétés privées, les groupes associatifs faisant séjours touristiques et colonies de vacances ainsi que les organisateurs de séjours adaptés. Nous ne comprenons pas pourquoi les gros organisateurs qui ont réclamé cette augmentation (avec des chiffres supérieurs à 50€) n’ont pas augmenté d’elle-même le salaire minimum. Pourquoi faut-il qu’ils imposent leurs règles à tout un secteur ? Small n’est pas forcément beautiful, mais gros et puissant ne rend pas légitime.
  4. Nous rappelons que cette décision unilatérale pourrait être de coup de grâce pour beaucoup d’associations fortement fragilisées par la période COVID et l’inflation. Nous rappelons que les petites associations de colos n’ont eu que très peu d’aides de l’État. Il n’y a pas eu de « quoi qu’il en coûte » pour elles et l’inflation les frappe de plein fouet.
  5. Nous demandons des contrôles précis quant au respect du droit des animateurices travaillant dans les séjours touristiques (déclaration URSSAF, respect du paiement des jours de congés, des repos compensateurs, absence de CEE pour les personnels techniques et/ou durant des séjours non déclarés en ACM) et un texte clair permettant aux animateurices de faire valoir leurs droits au chômage auprès de France-travail.
  6. Nous demandons que les animateurices travaillant en CEE aient accès à des droits à la retraite avec valorisant circonstancielle des heures travaillées puisqu’un·e animatrices de colos travaillent 96 heures par semaine a minima.
  7. Créer un congé payé “colos” de 21 jours par an permettant à chaque salarié titulaire du BAFA ou BAFD ou équivalent (privé ou public) de pouvoir s’engager dans une colonie de vacances.
  8. Nous demandons qu’un animateur en CEE ait systématiquement accès aux éléments comptables de son employeur, aux revenus des dirigeants et managers qui les encadrent. Nous demandons qu’un représentant des personnels en CEE soit membre de droit du conseil d’administration.
  9. Nous demandons des aides universelles, non conditionnelles et identiques à tous les territoires pour aider aux financements des formations BAFA. Nous rejetons toute aide conditionnelle du type 100€ uniquement pour celles et ceux qui sont en service civique ou qui feraient leur SNU ou une formation payée contre des heures de bénévolat. Ce type de politique est discriminante, inégalitaire et/ou permet de fournie de la main d’œuvre gratuite.
  10. L’interdiction des frais de pension (repas, lit, blanchisserie, etc.) qui sont retirés des paies des animateurices en CEE par certains organisateurs. Cette pratique illégale réduit d’autant le salaire des animateurices et rend mensongère l’annonce d’un salaire minimum.

 

Pour le collectif Camps Colos, cette décision d’augmenter unilatéralement les salaires (et malgré les alertes exprimées au comité de filière) est un coup de force des gros organisateurs de colos regroupés dans deux associations sœurs pour réguler le secteur et récupérer les marchés laissés libres par les associations qui ne pourront faire face à ces augmentations importantes. Le lobby de la colo touristique semble avoir gagné une bataille, mais nous ne lâcherons pas nos combats sur d’autres dossiers (notamment celui des violences sexuelles et sexistes et celui des mixités), pour lesquels notre action est juste, au cœur des enjeux de société, face à un modèle touristique violent, inégalitaire, excluant et stigmatisant.

Les valeurs républicaines et humanistes sont vécues et mises en exercice dans nos colos, ce ne sont pas seulement des mots mis en avant dans des projets.

 

Les orgas du Collectif Camps Colos.

Être salarié·e du tourisme ou animateurice dans une colo

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